Nommons nos cours d’eau : témoignage d’un habitant de St-Guillaume
L’opération « Nommons nos cours d’eau ! », lancé par le Syndicat du Bassin Versant du Brivet, qui a débuté le 16 avril touchera à sa fin le 4 juin.
Cette action, qui s’inscrit dans le cadre du Contrat Territorial Eau 2020-2022 a pour objectif de non seulement renommer les cours d’eau orphelin de noms, mais également de rapprocher les habitants de leur territoire et du vivant, pour une meilleure connaissance et pour une meilleure préservation de ce dernier.
À cette occasion, Jean-Claude Richard replonge dans ses souvenirs d’enfance, qu’il partage avec nous :
Le Pontreau
Nous, les gars de la Plaie et du Hainguet allions à l’école à pieds comme la plupart de nos condisciples; les chemins qui nous y conduisaient avaient pour particularité de n’être quasiment faits que de charraux et autres chemins de pieds que nos aînés, pour raccourcir ce trajet , avaient conquis au fil du temps au mépris de tous droits de propriété.
Au lieu-dit « le Pontreau », cet itinéraire avait pour singularité de nous faire franchir un cours d’eau, qu’enjambait un petit pont de pierres aujourd’hui disparu, victime collatérale d’un remembrement technocratique. (1) Ce ruisseau venait nous ne savions d’où, mais il allait se jeter dans la mer en passant par le Brivet, ça nous en étions sûrs et certains. Alors que l’été il maigrissait à vue d’œil, parfois jusqu’à disparaître totalement, c’est l’hiver qu’il donnait toute sa mesure. C’est l’hiver qu’il nous accordait toutes ses faveurs: Dans sa partie nord-ouest qui va de la route de Crossac jusqu’au pont, il s’étend paresseusement recouvrant de quelques centimètres d’eau environ trois journaux (2) de prairie
inondable. Dans les années 50 les hivers étaient encore suffisamment rigoureux pour faire de cette étendue d’eau une patinoire gigantesque : Cependant, pour goûter tout notre plaisir il nous fallait quand même prendre quelques risques en nous éloignant de la rive où le gel avait emprisonné quelques herbes qui freinaient nos performances et nos enthousiasmes. Ceux d’entre nous qui possédaient des sabots cloutés (3) pouvaient même accomplir des prouesses que les autres gamins jalousaient un peu. En aval du pont, par le concours d’une particularité topographique, le ruisseau se rétrécit brusquement, lui donnant un caractère torrentiel pendant les périodes de dégel. Un mètre après s’être libéré de l’étreinte de la passerelle, il vire à 90° sur la gauche puis après quelques méandres bien prononcés, il serpente dans la prairie.
Les grands (ceux qui possédaient un couteau de poche) construisaient alors des moulins à eau. La technique d’assemblage, pour être simple, n’en demande pas moins une certaine habileté manuelle : Pour faire l’axe, il faut prendre une tige de sureau d’une trentaine de centimètres, y faire deux fentes en son milieu pour pouvoir y glisser deux pales en saule, façonnées avec une infinie patience. Il convient ensuite de poser le dispositif sur deux supports prélevés sur des branches en forme de Y et plantées dans un endroit accessible du ruisseau où le courant ne va pas emporter l’ouvrage. Sans le savoir, je découvrais avec émerveillement et par l’expérimentation, les bases des sciences de la mécanique des fluides, qu’il me faudra assimiler, non sans difficulté, quelques années plus tard, au lycée. Certains hivers, le Pontreau débordait. Pour éviter à nos petites jambes de faire le grand détour par la Porcheraie et quand la crue n’était pas d’importance, Louis Danais père qui habitait sur la butte de la rive gauche nous faisait traverser sur son dos, pour notre plus grand plaisir.
Chaque génération développe ses propres plaisirs. Mon oncle, qui pour les mêmes raisons, prenait le même itinéraire, m’a rapporté avec beaucoup de malice que de son temps dans le décours des années 20, les élèves allaient tous à l’école en sabots. Les pratiques de l’époque étaient beaucoup plus risquées puisqu’elles consistaient à transformer un sabot en péniche : au pire l’embarcation sombrait corps et bien dès le premier méandre, au mieux elle allait s’échouer dans les herbes quelques mètres plus loin.
Sauf une fois!
Le sabot de mon oncle, épris d’un désir de liberté peu commun chez les galoches, franchit les limites habituelles et transgressant toutes les règles de navigation, disparût sous un amas d’épines et de ronces.
Oh ! Combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis ! (4)
C’est mon grand-père (5) qui m’a raconté le fin mot de l’histoire: Il administra à son fils une correction à la hauteur du préjudice, puis le lendemain matin chaussé de ses bottes de pêche aux pimpenaux (6) et équipé d’un faucillon il descendit le cours du ruisseau, essarta (7) quelques branches et récupéra le sabot coincé dans une bouillonnée de prêles. C’est ainsi que prit fin la destinée de mon oncle à l’état de marinier.
Ainsi en va-t-il parfois des rêves d’enfants.
Jean Claude Richard
Remerciements particuliers à Jean Claude Joalland de la Plaie qui m’a aidé dans cette plongée
de ressouvenance d’une enfance comblée de petits bonheurs.
Ont également participé à ces souvenirs Monique Bivaud, Marie-Thérèse et Jean Noël Busson
(1) Non seulement le pont de pierres a été détruit, mais ces gens-là ont également redressé le
lit du cours d’eau en supprimant tous ses méandres et sinuosités qui faisaient son charme, au
mépris des nappes phréatiques, en dépensant beaucoup d’argent et sans que cela n’apporte le
moindre petit plus à l’agriculture.
(2) environ 1,5 hectares
(3) Sabots fabriqués par Fernand Rousineau sabotier guillaumois et figure locale
(4) Victor Hugo : Océano nox
(5) Jean Marie Paboeuf dit » le grand Pabeu » autre figure locale
(6) anguilles
(7) Débroussaille